CES GUéRISSEUSES DE MONTAGNE QU'ON PRENAIT POUR DES SORCIèRES

Jaime Martin s'inspire des trementinaires des Pyrénées pour raconter une fable sombre et féministe.

Mara est une rebouteuse dans la vallée isolée des Pyrénées espagnoles, la Vansa y Tuixent. L'histoire, qui se passe vers la fin du XIXe siècle, est tournée en fable, avec une jeune femme aux habits riches qui vient s'échouer ici, fuyant on ne sait quoi en plaine. Les villageois, déjà guère enclins à la sympathie envers Mara, vont voir comme une malédiction l'arrivée de cette étrangère, sentiment attisé par un curé fanatique. Ajoutez des meutes de loup et une épidémie de rage et tous les ingrédients sont réunis pour un récit sombre et alpin qui n'est pas sans faire résonner les échos de nos propres légendes des Alpes suisses. Rencontre avec l'auteur d'«Un sombre manteau», l'Espagnol Jaime Martin, à Delémont'BD.

«Après 9 ans d'albums sur ma famille, «Les guerres silencieuses», «Jamais je n'aurai 20 ans» et «Nous aurons toujours 20 ans», j'avais envie de m'évader graphiquement, j'avais envie de montagne. Mon épouse m'avait parlé des trementinaires, ces femmes qui, dans les montagnes, faisaient office de guérisseuses grâce à leur connaissance des herbes. J'ai trouvé que c'étaient des figures intéressantes qui résonnent avec les questions féministes actuelles.»

La confirmation que c'était le bon sujet lui est venue pendant le Covid. «Il y a eu cette histoire de l'infirmière qui soignait les malades du Covid et qui avait retrouvé placardé sur la porte de son domicile un mot des voisins qui ne voulaient plus la voir, craignant d'être contaminés. Ce sont des gens qui soiegnent les autres, et pourtant on en a peur. Comme mon personnage de Mara.»

Dans cette vallée qui vit recroquevillée sur elle-même, seuls les hommes descendant en plaine pour travailler à l'usine et rapporter un argent qu'on n'utilise pas entre villageois, habitués au troc, il fallait faire surgir un élément étranger. C'est cette femme qui fuit des poursuivants, sauvée par des loups et qui sera recueillie par Mara. Ses beaux habits, son mystère ne pourront qu'attiser la méfiance des habitants. Son secret, terrible, on ne l'apprendra qu'à la fin du livre, après l'arrivée de la rage, comme le Covid s'est répandu parmi nous.

«J'étais parti sur une histoire plus simple, mais j'ai une grande facilité à me compliquer la vie. Il en ressort ce récit choral, mais pas manichéen. Le berger est certes un méchant homme, mais il le fait pour sa famille. En fait, le seul vrai méchant, c'est le curé. C'est lui qui menace les familles qui enverraient leur enfant à l'école publique, disant que c'est un péché plus grand que de jeter ses enfants de la falaise ou de livrer ses filles à la prostitution. Certains disaient vraiment cela à l'époque.»

On retrouve dans les paysages, les vêtements ou les habitudes, des similitudes avec ce que vivaient les villages alpins suisses à la même époque, donnant à ce récit une impression familière. Faisaient-ils également des boules de saindoux comme Jaime Martin en donne la recette détaillée, bien moins appétissante que celle de la paella de son père dans «Les guerres silencieuses»? «Oui, j'essaie de mettre toujours deux choses dans mes albums, je ne sais pas si le lecteur l'a remarqué: une recette et un cauchemar. Les deux sont également présents ici.»

Ce qui est sûr, c'est que Jaime Martin sait mitonner des récits qui tiennent en haleine son lecteur.

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