11 HISTOIRES INTIMES SUR MURAT YAKIN

L'entraîneur de la Nati traîne (nonchalamment) une réputation de leader charismatique et indocile. C'est plus compliqué que cela.

1. Il est chef dans l'âme

Son père est parti quand il était ado. Sa mère parlait seulement le turc et ne possédait qu'un vélo. Il y avait huit enfants dans l'appart'; huit grandes gueules à nourrir. Et puisque Murat était l'homme fort, au sens (pré) historique du terme, il est naturellement devenu le chef.

Sa mère Emine faisait des ménages, pointait au chômage. «C'est moi qui suis allé voir les autorités et remplir les formulaires, raconte Murat Yakin à Blick. J'ai épluché avec elle les offres d'emploi dans les journaux et fait le tour des entreprises de nettoyage pour lui trouver un emploi. J'ai aussi assisté aux réunions de parents d'Hakan à l'école.»

Une connaissance de la famille, un Turc de Romandie, nous racontait à l'époque du FC Bâle que «Murat a tout pris sur lui. Emine avait six enfants d'un précédent mariage mais le chef de meute, l'homme de la maison, c'était lui.» Le premier mari d'Emine fut retrouvé mort dans le Léman. Le second, Mustafa Yakin, est parti avec fracas. Quand la police a emmené toute la famille dans un foyer pour femmes, il y avait une main, une sérénité impassible à laquelle tout le monde s'accrochait: celle de Murat.

Notre portrait d'Emine Yakin, décédée en novembre 2023👇

«Au FC Bâle, la mère des Yakin amenait le goûter à l'entraînement»

2. Il est sans pitié

Peut-être est-ce son expérience des humeurs volages mais «pour Murat, chaque footballeur est remplaçable. Tout le monde l'est!», dévoilait son frère Hakan dans la NZZ.

«Il aime les personnalités comme Granit (Xhaka), mais il est et sera toujours le patron, insiste Hakan. Aucun individu n'est plus important à ses yeux que l'équipe. Murat est dur. Il ne transige pas sur la performance. Pour réussir, il est prêt à tout, il n'a aucune pitié. Il n'épargne même pas son frère: quand je jouais sous ses ordres à Lucerne, il estimait que je n'entrais pas dans son système. Il me sortait toujours très tôt. J'étais en colère mais Murat n'a jamais éprouvé le moindre remord.»

3. Il a été pauvre...

Ils ont vécu à dix dans un 3½ pièces, cinq enfants dans la même chambre. Quand le père a cessé de payer les pensions alimentaires, la famille a vécu de petits boulots et de l'aide sociale. «Murat était conscient de la situation. Il s'est vu pauvre et s'est juré de mettre sa famille à l'abri», témoigne la relation romande.

L'Aargauer Zeitung raconte un voyage à Istanbul avec larmes et bagages, 60 heures de train, 25 sacs Aldi et Migros, pas d'écran, pas de Gameboy, pas de valises.

4. ... avant d'investir

Assez logiquement, «Murat Yakin n'a jamais épousé les codes classiques du footballeur arriviste, témoigne Edmond Isoz, ancien directeur de la Swiss Football League. Je ne l'ai jamais vu rouler en voiture de luxe ni porter de grosses montres en or. Il mettait son argent de côté et investissait tout dans l'immobilier. Je peux vous garantir que là-dedans (réd: il roule un index sur sa tempe), ça tourne à plein régime.»

Murat Yakin est aujourd'hui à la tête d'un portefeuille immobilier si imposant qu'il en ignore le contenu exact. «Je ne peux pas dire exactement combien d'objets je possède. J'achète et je vends sans arrêt», avoue-t-il à la Schweiz am Wochenende.

Il investit surtout dans l'agglomération bâloise et n'hésite pas à inclure son frère, parfois ses demi-frères, dans certaines transactions. L'une de ses dernières acquisitions est un terrain dans le village déshérité de Grellingen, où les plans de construction prévoient 25 appartements. D'autres résidences appartenant à Yakin ont parfois servi de pince-fesses, sans lien établi avec leur propriétaire. Selon la Handelzeitung, le patron de la Nati vient encore de lancer un commerce de literie.

5. Il est rétif à l'autorité

Un ancien coéquipier sous le maillot suisse se souvient l'avoir entendu crier au balcon, nu et en sueur: «Je n'en peux plus!» Cerné d'admiratrices, Murat Yakin fut parfois tenté de les introduire clandestinement dans les hôtels, avec des complicités internes. Certains sélectionneurs fermaient les yeux et se rendormaient aussi sec, comme Köbi Kuhn. Mais d'autres faisaient toute la lumière.

Yakin est devenu un sex-symbol et même le New York Times n'en peut plus

Fondamentalement, Yakin avait un rapport ambigu à l'autorité. Ainsi Roy Hodgson l'a-t-il exclu de la Coupe du monde 1994 pour un retour en chambre tardif (et néanmoins solitaire). «J'étais jeune, explique l'indocile à Blick. J'étais au bar de l'hôtel avec Thomas Bickel, Alain Sutter et Ciriaco Sforza. Un quart d'heure de trop, rien de plus. Quelqu'un m'a dénoncé à Roy et j'ai manqué la World Cup. Mon monde s'est écroulé. Quinze ans plus tard, Roy s'est excusé et a dit qu'avec le recul, il agirait autrement.»

6. Il est paresseux

Yakin reconnaît sans peine que le métier d'entraîneur l'a initié aux affres du travail et de la planification. Lui qui traînait (nonchalamment) une réputation de joueur économe et instinctif a appris à presser le pas. «Au départ, cela ne faisait pas partie de notre culture et de notre mentalité de devoir travailler dur, d’être organisés», confessait-il au Temps.

Libero décroché, voire détaché, il ne courait pas beaucoup. Encore moins aux entraînements où, quand il ne connaissait pas de bons raccourcis, il terminait les footings en queue de peloton - et même une fois derrière Köbi Kuhn, 60 ans!

Sa relative indolence était compensée par une aisance et une intelligence au-dessus de la moyenne. Murat Yakin avait l'efficacité et la malice des fainéants: il allait au plus simple. Il en semblait presque facile.

7. Il est bordélique

C'est sa femme Anja qui poucave dans la Schweizer Illustrierte: «Muri est un flemmard. Totalement désordonné. Quand il rentre à la maison, il jette ses vêtements dans un coin. Il y en a partout. Même sur le bureau, il y a des piles de dossiers, de papiers, de documents. Ce que je trouve intéressant chez lui, c'est qu'il garde une excellente vision d'ensemble de son cheni. S'il a besoin de quelque chose, il sait immédiatement où le trouver.»

8. Il est gourmand

Aujourd'hui encore, Murat Yakin se dit incapable de regarder la télévision sans une boîte de chocolat, de biscuits ou de bonbons à portée de doigts. Il avoue une gloutonnerie coupable pendant sa carrière de joueur: «J'ai fait du mal à mon corps. Trop de sucreries. Je pense que c'était aussi la raison de mes blessures fréquentes.»

Yakin remercie l'Irlande du Nord en lui envoyant 9 kg de chocolat

Les marques de chocolat et de bonbons n'ignorent rien de sa faiblesse. En dealers cyniques, elles lui envoient régulièrement sa dose de douceurs, en toute amitié.

9. Il est un peu valaisan

Sa mère occupait un emploi d'aide-infirmière à Viège lorsqu'elle a épousé Mustafa Yakin, soudeur à Bâle. Après leur divorce, Murat et Hakan ont passé toutes leurs vacances en Valais, où ils ont appris à skier.

Quand les relations sont devenues conflictuelles, les deux frangins n'ont plus eu de contact avec leur père. «Hakan et moi étions en camp avec l'équipe nationale quand nous avons reçu un appel de l'hôpital, raconte Murat dans le livre «Die Yakins». Köbi Kuhn nous a laissé partir. Nous avons appris à ce moment-là seulement, juste avant la mort de notre père, qu'il nous avait toujours suivi, qu'il était notre plus grand fan et qu'il regardait tous nos matchs au stade sans que nous le sachions.»

10. Il ne croit qu'en lui

«Je ne crois ni en Dieu, ni à Allah, ni à Bouddha», a-t-il lancé un jour de 2002 à L’Illustré. «Je crois d’abord en moi-même. Je ne veux blesser personne avec ce genre d’opinion mais je pense simplement que chacun est libre de faire ce qu’il croit juste […] Mes pensées et mes actes tournent autour d’un axe essentiel: la tolérance. C’est pourquoi je ne juge personne. J’ai été élevé ainsi.»

Les anciens de la Nati n'ont pas oublié «l'extraordinaire assurance qui émanait de Murat»: ce n'était pas une posture mais «une forme de certitude» que tout irait bien, toujours.

11. Il joue de son charme

C'est un homme de peu de mots, chiche en bavardages et désespoir des psychologues à jamais. «Concis, direct, très terre-à-terre», rapportent ses anciens coéquipiers. «D’un côté, il sait utiliser les gens comme il en a envie; de l’autre, il est capable de s’adapter à eux. C’est un homme intelligent, un caractère fort, qui sait exactement ce qu’il veut», décrit Xavier Hochstrasser dans Le Temps.

Quand il entre dans une salle de presse, on n'entend plus les plumitifs voler. Murat Yakin aime que ses équipes lui ressemblent: «Imprévisibles, dominantes, avec une grande confiance en soi.»

Cet article est adapté d'une première version publiée le 23 novembre 2022 sur notre site.

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